Enjeux en périnatalité

MAM réfléchit sur les enjeux en périnatalité

 

MAM autour de la maternité existe depuis 1981. Depuis plus de 35 ans, nous intervenons des mères et de leurs familles dans la période périnatale.  Nous, les membres et travailleuses de MAM autour de la maternité, sommes bien positionnées pour comprendre en profondeur, les problématiques sociales rencontrées par cette clientèle. Nous souhaitons brosser un portrait de l’écosystème entourant les familles lors de la période périnatale pour mieux en saisir les enjeux, les défis, cibler les ressources existantes, les manques et les lacunes et identifier les principaux acteurs interagissant autour des familles. C’est ensemble que nous pourrons faire une différence pour les femmes, les bébés et les familles de notre communauté.

 

La période périnatale en est une de grande vulnérabilité. Les femmes doivent déployer une grande force intérieure pour mettre au monde leur bébé, mais elles ont également un grand besoin d’être soutenues, accompagnées, renseignées, respectées.  Nous constatons régulièrement que ce n’est pas toujours le cas.

Cette profonde transformation à la vie de parent se fait dans un contexte sociétal spécifique qui engendre des défis importants pour eux. Nous avons ciblé de grands enjeux auxquels les mères et les familles peuvent faire face.

 

Enjeux principaux :

 

Accès à l’information

Les femmes en prénatal ne connaissent pas ou peu, les ressources disponibles dans leur milieu de vie. Lorsque la femme devient enceinte, c’est tout un nouveau monde qui s’offre à elle. Selon son degré de confiance en elle, de connaissance de son milieu, elle ira chercher, ou non, les informations dont elle a besoin. Selon l’étude sur les besoins en matière de soutien en allaitement, 51 % des femmes enceintes ignorent la présence d’organisme communautaire de soutien en allaitement près de chez elle. [1]Les ressources offertes par la communauté en prénatal, outre les rencontres prénatales, sont peu connues et peinent à rejoindre un large public. Il est difficile de rejoindre ces femmes qui entrent dans une nouvelle sphère de la parentalité.

Les informations données aux mères sont contradictoires d’une source à l’autre. Dans notre monde numérique, les mères ont maintenant accès à un large éventail d’information, accessible rapidement. Elles nous rapportent souvent être étourdies par les informations contradictoires qu’elles y retrouvent. Les groupes de mères sur les réseaux sociaux regorgent de points de vue différents. S’ajoutent à cela, les avis de la famille, des amis, les recommandations des équipes médicales, etc. Chez MAM, nous tentons de présenter différentes alternatives, sources d’information afin que les parents puissent prendre des décisions éclairées. Cependant, nous sommes conscientes d’ajouter nous aussi un bruit dans la conversation.

 

« Les parents sont bien souvent submergés d’information. Il est pertinent de penser qu’ils ont davantage besoin d’un accompagnement pour donner un sens à cette information » Francine De Montigny

 

Les nouvelles connaissances sur les neurosciences affectives et sur l’attachement sont maintenant davantage accessibles et vulgarisées. Depuis quelques années, bien que nous sentions que les consciences soient davantage ouvertes sur les besoins relationnels des bébés, nous constatons que ces nouvelles connaissances rajoutent une grande pression pour être un parent parfait qui voit à tout.

Les métiers autour du développement de l’enfant se sont multipliés dans les 60 dernières années. Subtilement et sournoisement, le parent a perdu le lien avec son instinct de parentage. Les professionnels autour de ses enfants savent mieux que le parent ce qui va et ne va pas avec leur enfant. Qui sommes-nous comme parent pour savoir mieux que ces spécialistes?  Ce constat amène une perte de repère  et une faible confiance en soi des parents face à leurs propres compétences pour élever eux-mêmes leurs enfants.

Parallèlement, les recherches en neurosciences affectives se sont multipliées depuis les 20 dernières années. Nous connaissons maintenant bien les effets du mode de maternage sur le développement du cerveau de l’enfant, nous avons une meilleure compréhension des théories de l’attachement. L’équipe de MAM se forme depuis plusieurs années dans ces domaines et intègre dans son accompagnement l’Approche personnalisée et les principes d’intervention tels que présentés dans les outils d’Agir ensemble pour le développement des enfants[2].

Cependant, nous constatons que ces informations et nouvelles connaissances apportent leur lot d’insécurité et de culpabilité. Plusieurs parents partagent avec nous la pression engendrée par ces nouveaux concepts, ils ont peur de « scraper » leurs enfants.

 

Droits des femmes peu connus

Nous remarquons que la majorité des femmes ne sont pas au fait de leurs droits. Que ce soit le droit d’allaiter dans les lieux publics, d’obtenir les informations nécessaires à la prise de décisions éclairées lors d’interventions médicales, d’être accompagnées par qui elles veulent lors de leur accouchement, etc.  Certaines femmes voient leurs droits bafoués sans en être pleinement conscientes.

MAM propose des rencontres où sont abordés les droits des femmes lors de la période périnatale, des suivis à l’hôpital, des interventions lors de l’accouchement et du postpartum. Lors de ces rencontres, les femmes terminent toujours en disant qu’elles auraient souhaité avoir le choix, que leurs droits leur soient présentés en prénatal pour prendre des décisions éclairées sur leur corps.

 

Charge mentale et pression sociale

Il est maintenant largement reconnu que les femmes, les mères, sont écrasées sous une lourde charge mentale. Une vaste enquête de l’Observatoire des tout-petits nous le confirme, près de 40 % des mères de tout-petits de 6 mois à 5 ans présentent un niveau élevé de stress lié à la conciliation des obligations familiales et extrafamiliales[3].  Le stress engendré par cette immense pression a des répercussions importantes sur l’état de santé de toute la famille.

Les mères rapportent vivre beaucoup de pression pour allaiter leur bébé.  La cible de la Santé publique en matière d’allaitement à la sortie des lieux de naissance est de 85 %[4]. Entre 2001 et 2012, les taux d’allaitement au Québec ont augmenté considérablement passant de 76 % à 89 %[5].  Cette augmentation se vit difficilement pour certaines mères.  Le personnel qui intervient autour des mères n’est pas toujours à l’aise, ou bien formé pour les accompagner dans leur choix du mode d’alimentation de leur enfant. Plusieurs d’entre mères rapportent une forte pression du milieu de la santé. Certaines d’entre elles vivent même des expériences traumatisantes qu’elles qualifient de violences. Chez MAM, notre approche a toujours été celle du libre-choix. Nous offrons aux mères l’information qu’elles souhaitent avoir pour une prise de décision éclairée quant au mode d’alimentation de son bébé. Nous l’accompagnons dans son parcours, sans jugement.

 

Santé mentale maternelle

Dans les activités que nous tenons, nous constatons que la santé mentale des mères est en déséquilibre. Elles nous parlent de cette charge mentale, de leur anxiété qui est décuplée avec l’arrivée de leur bébé. Elles se confient sur leur grande détresse.  Les données publiées par l’Institut de la santé publique nous le confirment : entre 30 % et 80 % des mères ressentiraient le baby blues, 1 mère sur 5 vivrait une dépression postpartum, 15 % souffriraient de trouble anxieux[6].

 

Nous constatons également que plusieurs mères prennent des antidépresseurs pour les soutenir dans cette période difficile. Certains professionnels de la santé mettent les femmes devant le choix de cesser l’allaitement si elles souhaitent accéder à la médication. Ils véhiculent de fausses informations concernant l’innocuité de certains médicaments avec l’allaitement et la grossesse qui peuvent mener à une période d’allaitement écourtée.  Nous travaillons avec des pharmaciennes qui peuvent faire une vérification plus pointue sur les effets de la prise de médication sur l’allaitement et fournir des alternatives aux mères.

 

Isolement

L’effritement du tissu social a des répercussions sur l’expérience des familles. Bien des mères se sentent isolées, seules avec leurs défis. L’image de la famille parfaite présentée dans les médias ne  fait qu’alourdir cette impression de ne pas y arriver. Certaines femmes ne vont pas oser demander de l’aide, partager leurs questionnements et difficultés ni se tourner vers les ressources disponibles.  La famille, les grands-parents et les amis travaillent eux aussi et sont bien souvent moins disponibles pour soutenir les nouveaux parents lors de l’arrivée de bébé. Les services de relevailles, aides à domicile, sont rares et souvent onéreux.  Les mères, surtout dans la première année de vie de leur bébé, se retrouvent bien seules.

 

Violences faites aux femmes

Les violences faites aux femmes sont multiples et la période périnatale ne fait pas exception. Nous sommes aux premières loges pour constater, avec désolation, que ces violences se perpétuent encore aujourd’hui.

Lors de nos rencontres avec les mères, nous avons recueilli plusieurs dizaines de témoignages qui dénoncent des paroles, des gestes et des actes médicaux relevant de la violence obstétricale et gynécologique. Ces violences : « vont compromettre l’intégrité physique et mentale des femmes et des personnes qui accouchent de façon plus ou moins sévère »[7]. Les effets de ces violences peuvent laisser de profondes traces chez les mères et dans leur relation avec leur bébé et leur famille.

Nous sommes également sensibilisées au fait que 16 % des femmes enceintes vivent de la violence conjugale[8] . Cependant, il nous est difficile de le constater dans le nombre de femmes qui nous fréquentent ou à de rares exceptions.

Immigration

Les femmes issues de l’immigration sont encore plus isolées et ne connaissent ni les ressources, ni leurs droits au pays ni encore les normes sociales entourant le rôle du parent, ce qui leur cause encore plus de stress et de détresse.

En 2016, à Saint-Hubert, le nombre de personnes immigrantes a augmenté de 63 % pour atteindre 16 % de la population. Dans Laflèche, le quartier où se situe MAM, le tiers des familles avec un enfant  de moins de 18 ans est immigrante[9]. Nous devons travailler nos manières d’être inclusives pour offrir à ces femmes et familles, le soutien dont elles ont besoin.

Diversité de genre

On constate que le portrait des familles change aussi. L’éclatement du modèle de la famille nucléaire laisse sa place à une multitude de compositions possible. La coalition pour les familles LGBTQ+ dénonce l’absence de leur représentation sociale et l’image globale de la diversité familiale au Québec.

 « L’exclusion et le silence constituent les obstacles les plus fréquemment rencontrés par les membres d’une famille LGBT. Comme ces familles sont souvent invisibilisées, les pratiques ne sont pas toujours bien adaptées pour répondre à leurs besoins, ce qui pourrait avoir un impact significatif sur le bien-être des parents et, surtout, des enfants. ».[10]

Au travers de nos moyens de communication et de représentation, nous tentons d’éviter l’hétéronormativité et d’adopter un langage inclusif, des visuels qui représentent la diversité des familles.

 

Constats :

En observant ces enjeux, nous identifions le grand manque d’accompagnement des mères comme leur cause profonde. Nous croyons que les mères devraient être convenablement reconnues dans l’unicité de leur être et de leur parcours. Elles devraient être accompagnées, soutenues, comprises, épaulées dans leur expérience.  Elles en seraient moins isolées, vivraient leur grossesse, leur accouchement et leur vie postpartum de façon plus sereine.  Il nous est permis de croire qu’ainsi, les difficultés physiologiques et psychologiques exprimées par les mères pourraient être atténuées et laisser moins de traces.

Si les femmes étaient adéquatement accompagnées, nous croyons qu’il en découlerait les résultats suivants :

  • Les femmes en prénatal seraient dirigées vers les ressources dont elles ont besoin dans leur milieu, selon la problématique qu’elles vivent à ce moment.
  • Les mères accompagnées se sentiraient suffisamment informées et compétentes pour prendre leurs propres décisions en lien avec leurs valeurs familiales.
  • Les femmes auraient de l’écoute et se sentiraient comprises et ainsi moins seules dans les difficultés qu’elles vivent.
  • Les femmes victimes de violences obstétricales seraient bien informées et connaîtraient leurs droits et elles pourraient les faire valoir lors de leur accouchement. Elles auraient davantage de chances de vivre cette expérience avec sérénité et moins d’impacts physiologiques et psychologiques sur elles-mêmes, leurs bébés et leur famille.
  • Les femmes issues de l’immigration seraient accompagnées par une personne compétente, idéalement dans leur langue maternelle, qui pourrait les comprendre, les diriger vers les ressources ajustées à leurs problématiques, et reconnaître leur différence comme une force pour la société d’accueil. Elles pourraient ainsi partager leur savoir venu d’ailleurs et contribuer à nourrir nos réflexions sociétales.
  • Les informations seraient ajustées aux besoins des mères et de leurs bébés, mais surtout les mères se sentiraient soutenues et autonomes dans leurs prises de décisions concernant leur famille.
  • La diversité des genres dans la famille serait reconnue et incluse dans l’approche de tous les intervenants impliqués auprès de la dyade et de la famille, pour l’inclusion de toutes les familles également.
  • Les nouvelles connaissances sur les neurosciences affectives seraient répandues et reconnues comme la norme, ce qui contribuerait à l’attachement sécuritaire des bébés auprès de leurs parents et ces derniers apprendraient à entrer en relation plus aisément dans leur vie.

 

Le changement social que nous souhaitons voir arriver est :

 

« Que les femmes et leurs familles soient accompagnées tout au long de leur grossesse, de leur accouchement, et des premiers moments de vie de leurs enfants de façon chaleureuse, adéquate et en harmonie avec leurs besoins et leurs valeurs pour qu’elles vivent cette période de façon sereine, soient disponibles affectivement pour leurs enfants, et ainsi donner à ces enfants le meilleur départ possible dans la vie. »

 

Chez MAM, nous souhaitons faire partie de cette transformation sociale en accompagnant les mères dans cette période si bouleversante qu’est l’arrivée d’une nouvelle vie, en leur offrant notre l’écoute, notre empathie. Nous offrons un endroit pour qu’elles puissent rencontrer d’autres mères qui partagent les mêmes enjeux qu’elles et qui les aident à briser l’isolement, dans le respect de leurs valeurs et dans la reconnaissance de leurs vécus. Nous œuvrons à constamment renouveler nos connaissances sur les neurosciences affectives, l’attachement et l’allaitement et à connaître les ressources de notre milieu pour mieux diriger les mères qui ont des besoins particuliers. Enfin, nous favorisons l’Approche personnalisée pour valoriser la relation unique entre le parent et son enfant.

Nos valeurs sont l’accueil, l’engagement, le respect, l’intégrité, l’autonomie et l’empathie, et elles guident nos actions, nos gestes et paroles en toute authenticité et vulnérabilité devant les mères et leurs familles.

[1] HAIEK, Laura et SEMENIC, Sonia et all : Les mères québécoises parlent :
étude sur les besoins en matière de soutien en allaitement
, MSSS et Mc Gill, septembre 2016.

[2] ROY, Jeanne et all : Trousse de voyage au cœur de l’attachement, Agir Ensemble pour le développement des enfants, 2017

[3] DAGENAIS, Fannie et all : Dans quel environnement grandissent les tout-petits du Québec, Observatoire des tout-petits, portrait 2019

[4] DIONNE, Suzanne et JETTÉ, Sylvie et all : L’allaitement maternel au Québec, lignes directrices, Ministère santé et services sociaux du Québec, 2001.

[5] Statistiques canada : https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/82-624-x/2013001/article/11879-fra.htm, page consultée le 12-12-2019

[6] TREMBLAY, Pascale, CÔTÉ, Émilie et all : Santé mentale et troubles mentaux, Institut national de santé publique du Québec, portail périnatal, 2019

[7] Regroupement Naissances Respectées, Trousse d’information sur les violences obstétricales et gynécologiques, p.5, juin 2019

[8] Pavillon Marguerite de Champlain, La violence conjugale pendant la grossesse

[9] FOURNELLE, Élise et all : Portrait social de l’arrondissement de Saint-Hubert, Développement social Saint-Hubert, 2019

[10] Coalition pour les familles LGBTQ+ , https://www.familleslgbt.org/ site consulté janvier 2020.